Tirage au sort, organisation et anecdotes : Dans les coulisses du Marathon du Mont-Blanc

La 43° Ă©dition du Marathon du Mont-Blanc aura lieu du 22 au 25 juin prochain. Comme tous les ans, des milliers de coureurs vont s’élancer sur les traces du plus haut sommet du massif des Alpes. Ces quelques chanceux, dĂ©signĂ©s par tirage au sort parmi les meilleurs athlĂštes du monde, auront la chance de dĂ©couvrir cette compĂ©tition, aussi mythique que l’UTMB.

Comment fonctionne le systĂšme de loterie ? Comment sont recrutĂ©s les bĂ©nĂ©voles ? Ces questions ont hantĂ©s de nombreux passionnĂ©s dĂ©sireux de participer Ă  l’une des 8 distances proposĂ©es. JĂ©rĂ©my Trolliet, chargĂ© de communication au club d’athlĂ©tisme et des sports de Chamonix Mont-Blanc et Lucie Beche, logisticienne, nous ont fait entrer dans les coulisses du Marathon du Mont Blanc.

Qu’est-ce qui vous a amenĂ© Ă  travailler dans le sport grand public ? 

Lucie : Pour moi, les Ă©vĂšnements sportifs ont toujours Ă©tĂ© ma ligne directrice. J’ai grandi en faisant du ski Ă  Chamonix. J’ai participĂ© Ă  la vie associative du club en tant qu’adhĂ©rente, quand j’étais plus jeune. Je suis trĂšs contente car l’évĂ©nementiel sportif, c’est ce qui m’a toujours plu. D’ailleurs, je ne suis pas sĂ»re de pouvoir prendre du plaisir Ă  organiser des Ă©vĂšnements non sportifs. C’est vraiment ça qui m’emballe et me motive. 

JĂ©rĂ©my : Personnellement, j’ai simplement eu de la chance. C’est le premier job que j’ai trouvĂ© aprĂšs mes Ă©tudes. Je rentrais Ă  peine dans le monde professionnel et j’ai Ă©tĂ© choisi parmi beaucoup de candidats. J’ai conscience que j’ai un poste convoitĂ©. Mais c’était difficile, car c’était une crĂ©ation de poste. Je n’avais personne avant moi pour me dire comment faire ! Aujourd’hui ça fait 3 ans, donc c’est que ça fonctionne bien. Je m’étais spĂ©cialisĂ© dans l’évĂ©nementiel et j’avais dĂ©jĂ  travaillĂ© et fais du bĂ©nĂ©volat pour la Coupe du Monde de ski et d’escalade. C’était une Ă©vidence pour moi.

Vous consacrez combien de temps Ă  l’organisation de cet Ă©vĂšnement chaque annĂ©e ?

Lucie : Presque 80% de notre temps ! 

JĂ©rĂ©my : Oui c’est la plus grosse part de notre travail mais ça dĂ©pend des annĂ©es. Certaines annĂ©es on a moins de libertĂ©, notamment Ă  cause de la Coupe du Monde de ski. Ces annĂ©es-lĂ , on n’est pas dĂ©cisionnaire sur les dates et les Ă©preuves car on doit se plier au cahier des charges de la FIS (FĂ©dĂ©ration International de Ski). Pour le marathon c’est diffĂ©rent, puisque c’est la communautĂ© de communes qui nous engage pour faire briller et promouvoir la vallĂ©e de Chamonix au niveau national et international. On est donc beaucoup plus libre. 

"On ne veut pas de course blindĂ©e. On privilĂ©gie l’expĂ©rience"

L’UTMB se dĂ©roule gĂ©nĂ©ralement Ă  la fin de l’étĂ©, tandis que le Marathon du Mont Blanc est en dĂ©but de saison. Est-ce que les deux Ă©quipes collaborent ensemble pour organiser ces deux Ă©vĂšnements ? 

JĂ©rĂ©my : Il nous arrive de collaborer ensemble pour rĂ©soudre quelques problĂ©matiques, pour organiser notre logistique ou pour s’échanger du matĂ©riel. Ça ne sert Ă  rien de tout acheter en double alors qu’on peut se prĂȘter beaucoup de choses. En plus, ça augmenterait sĂ»rement le prix des dossards, et les gens sont sĂ»rement contre ! (rire)

Lucie : D’ailleurs ce n’est pas qu’une question de matĂ©riel puisqu’une grande partie de nos bĂ©nĂ©voles sont aussi bĂ©nĂ©voles pour l’UTMB. Ils ne s’engagent pas chez nous et chez eux pour les mĂȘmes raisons mais ils participent souvent aux deux Ă©vĂšnements. Ça se passe bien notamment parce qu’on communique entre nous. 

Parlons des bénévoles. Vous en avez environ 700 à vos cÎtés chaque année. Comment vous les recrutez ?

JĂ©rĂ©my : On ne repart pas de zĂ©ro tous les ans, heureusement ! Certains bĂ©nĂ©voles sont lĂ  depuis 10 ans et ils ont leur Ă©quipe. C’est des passionnĂ©s. Ils sont heureux de se retrouver et de faire ça ensemble, c’est leur petit rendez-vous annuel. 

Lucie : Oui et c’est tant mieux, parce qu’il y a d’autres postes qui nous posent des soucis Ă  chaque Ă©dition. Je dois parfois recruter des nouveaux responsables et leur faire comprendre qu’ils doivent aussi constituer leur Ă©quipe de leur cĂŽtĂ© pour combler les manques. Pour certains postes, je n’ai rien besoin de faire parce que ce sont des sites ou des postes convoitĂ©s, comme celui du refuge du Montenvers. Cette annĂ©e j’avais trop de demandes alors que l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente personne ne voulait y passer la nuit
 Par moment, c’est un vrai casse-tĂȘte ! Et pas seulement sur ça. Il y a aussi le tirage au sort. 

"On a 10 500 participants chaque année et une centaine de nations représentée"

Pourquoi avoir mis en place ce systĂšme de loterie ?

JĂ©rĂ©my : Parce que c’est un Ă©vĂšnement extrĂȘmement populaire ! On a 10 500 participants chaque annĂ©e avec un bon quotient de coureurs internationaux. En tout, on a une centaine de nations reprĂ©sentĂ©e. Avant, c’était le premier arrivĂ©, premier servi. C’est un peu plus juste maintenant.

Alors quel est le pourcentage de chance pour un français d’ĂȘtre tirĂ© au sort ?

JĂ©rĂ©my : On est gĂ©nĂ©ralement sur 70% ou 80% de français et 20% ou 30% d’étrangers. Ce n’est pas une volontĂ© spĂ©cifique de notre part de faire figurer autant de français, mais nous devons respecter un niveau de reprĂ©sentativitĂ© par pays. C’est-Ă -dire que s’il y a 70% de français inscrit au marathon, il doit obligatoirement y avoir 70% de français pris au 42 km. Du coup, les chances pour un français d’ĂȘtre pris par rapport Ă  un suisse ou un italien vont varier en fonction du nombre d’inscrits. Cette annĂ©e, un français avait 1 chance sur 6, mais s’il y avait eu moitiĂ© moins de candidat, il aurait eu 2 fois plus de chance d’ĂȘtre tirĂ© au sort. 

Lucie : On a fixĂ© une jauge limite pour chaque course. On ne veut pas de course blindĂ©e. 10 500, c’est le maximum de personne que la vallĂ©e peut loger et qu’on peut accueillir sur les Ă©preuves. Au-delĂ  de ça, l’expĂ©rience devient pĂ©nible sur les parcours. On ne veut pas que tous les coureurs nous dĂ©testent Ă  la fin du week-end ! (rire)

Il doit y avoir beaucoup de personnes déçues


JĂ©rĂ©my : Oui mais c’est en place depuis plusieurs annĂ©es maintenant, donc c’est entrĂ© dans les mƓurs. Évidemment, c’est toujours une grosse dĂ©ception de ne pas ĂȘtre tirĂ© au sort. On a plus de personnes non tirĂ©es au sort que de personnes tirĂ©es au sort. Il y a donc clairement plus de frustrĂ©s que d’heureux. Mais c’est le jeu, on ne peut pas dire oui Ă  tout le monde ! On privilĂ©gie l’expĂ©rience. 

Lucie : Heureusement, les coureurs peuvent se rĂ©orienter vers d’autres courses. Il y a beaucoup d’organisateurs qui ouvrent leurs inscriptions aprĂšs le tirage au sort, ce qui est logique et intelligent. Ce sont souvent des courses qui ont lieu peu de temps aprĂšs nous et qui pourraient ĂȘtre apparentĂ©es. De notre cĂŽtĂ©, on a aussi des courses qui peuvent prendre du temps Ă  se remplir. C’est le cas du 10 km et du KV (KilomĂštre Vertical). Les gens se dĂ©cident parfois au dernier moment, au printemps, puisque ce sont des distances courtes qui n’exigent pas autant de prĂ©paration. Mais au final, on finit toujours par ĂȘtre complet. 

"Toutes les courses sont féériques"

Vous proposez aujourd’hui 8 parcours, il en a toujours Ă©tĂ© ainsi ? 

Lucie : Non, historiquement, la compĂ©tition a commencĂ© il y a 43 ans avec le 23 km du Mont-Blanc (le Cross du Mont-Blanc Ă  l’époque). Le parcours n’a jamais changĂ© depuis, c’est pour ça que c’est notre petit prĂ©fĂ©rĂ©. On a aussi Ă©tĂ© parmi les premiers Ă  proposer un KV en France. Pourtant, notre course phare reste le 42 km car elle figure dans la collection Golden Trail World Series. En fait, c’est des profils diffĂ©rents : ceux qui participent au marathon sont souvent des "performer" qui veulent se faire plaisir avec une belle course rĂ©putĂ©e et difficile. Les coureurs du 23 km viennent des fois depuis 25 ans pour refaire une course Ă  laquelle ils sont attachĂ©s
 Ce qui ne peut arriver que s’ils ont la chance d’ĂȘtre tirĂ© au sort, Ă©videmment !

Et vous aussi, vous ĂȘtes particuliĂšrement attachĂ©s Ă  une course ou Ă  un moment ?

Lucie : Je ressens souvent des Ă©motions trĂšs fortes au dĂ©part du Duo ÉtoilĂ©, lorsque tous les coureurs allument leur frontale tous en mĂȘme temps et passent devant moi. C’est surtout un grand soulagement de voir qu’ils sont sur le bon chemin (rire). Un jour j’ai paniquĂ© en croyant qu’ils allaient du mauvais cĂŽtĂ© avant de rĂ©aliser que c’était le bon. Un vrai ascenseur Ă©motionnel !

JĂ©rĂ©my : Je suis d’accord avec Lucie. Les lampes qui brillent dans la nuit, au cƓur de la montagne, ressemblent Ă  une nuĂ©e d’étoiles. J’en ai eu les larmes aux yeux quand j’ai vu ça pour la premiĂšre fois. C’était un bonheur de voir que tout ce travail avait fini par aboutir, une rĂ©elle satisfaction aprĂšs 2 ans d’attente Ă  cause du Covid. AprĂšs, je ne sais pas si c’est ma course prĂ©fĂ©rĂ©e parce qu’elles sont toutes fĂ©Ă©riques. Le 42 km est impressionnant puisqu’elle rĂ©unit tous les meilleurs athlĂštes au dĂ©part. On accompagne quelques-uns des meilleurs athlĂštes du monde. C’est pour ça que j’adore ĂȘtre avec les journalistes sur la ligne d’arrivĂ©e : pour accueillir les gagnants, vĂ©rifier que tout se passe bien et me fondre dans cette ambiance. 

"Ciao les malades, courrez bien !"

Ça doit ĂȘtre frustrant de tout voir et de tout prĂ©parer sans pouvoir courir ! 

JĂ©rĂ©my : Mais non ! Vous n’imaginez pas
 On est claquĂ© ! On s’est donnĂ© Ă  fond pendant des mois pour mener Ă  bien tout ça. Alors, la seule envie qu’on a, c’est de dormir et non de courir. (rire)

Lucie : Le dossard n’est pas fait pour tout le monde. J’aime courir, me promener, faire des bornes et me challenger Ă  la montagne avec des copains. Le dossard, ce n'est pas fait pour moi. D’ailleurs, Ă  chaque dĂ©part, on se dit : « ciao les malades, courrez bien ! Â».