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Publié le sam. 7 août 2021 par Finishers

"Mon marathon de New-York, en 2001"

Aujourd'hui nous donnons la parole Ă  Bruno Telleschi, un coureur passionnĂ© qui a pris le dĂ©part de plusieurs marathons dont le fameux Marathon de New-York, Ă  trois reprises ! Aujourd'hui, il nous raconte celui de 2001, qui s'est tenu quelques semaines seulement aprĂšs les terribles attentats du 11 septembre
 Car c’est aussi ça le running chez Finishers, dĂ©couvrir des histoires extraordinaires racontĂ©es par des coureurs ordinaires. Alors, prĂȘt Ă  embarquer pour la Big Apple ?

🕰 NY 2001...

Nous sommes en 2001, au mois de septembre, le 11. C’était un mardi si ma mĂ©moire est bonne. Je suis encore au boulot. Pas pour longtemps. Je vais rentrer. J’ai ma sĂ©ance de fractionnĂ©s Ă  faire. Pas mes prĂ©fĂ©rĂ©es. Pyramide de 200/400/800/400 et 200m avec des rĂ©cups moitiĂ© du temps de course. Dur. Mais il faut ça pour atteindre l’objectif. On est Ă  la moitiĂ© du programme, commencĂ© le 1er aoĂ»t. Le marathon c’est pour novembre, et c’est Ă  New-York. Ce sera la troisiĂšme fois et ça fait toujours rĂȘver. 

En 95, le premier, Ă  deux, grand souvenir ! Des douleurs, Ă  descendre les escaliers Ă  l’envers, et un lundi Ă  enchaĂźner les repas, du rĂ©veil Ă  l’heure d’embarquer, du petit dĂ©jeuner Ă  l’amĂ©ricaine Ă  la pizza-pasta de Little Italy. FiertĂ© incommensurable dans l’avion du retour. 

En 98, en Ă©quipe, avec les amis, tous prĂ©parĂ©s, tous intimidĂ©s. 3h03, Ă  deux sur la ligne d'arrivĂ©e, 1008 et 1009 Ăšme. L’objectif est tout trouvĂ© pour dans 3 ans (vu le budget on ne peut se permettre de venir tous les ans ! đŸ€·â€â™‚ïž) : rentrer dans les 1000 premiers. Moins de 3h c’est dĂ©jĂ  fait. Je dis « on Â» parce que je cours avec un partenaire et «qu’on» se soutient et s’entraĂźne Ă  deux (la gĂ©nĂ©tique nous a donnĂ© des donnĂ©es VMA proches et une motivation complĂ©mentaire). 

Trois ans plus tard, on est en 2001 Ă  Paris... JournĂ©e finie. PortiĂšre, contact, radio !? Choc, incomprĂ©hension de ce qui se passe vraiment lĂ -bas ? Les commentaires se rĂ©pĂštent, avions, tours, flammes, cris, fumĂ©es, courses dans les rues grises de poussiĂšres et ça recommence sans moment de rĂ©pit. J’arrive sonnĂ©, j’allume la tĂ©lĂ©, les images sont confuses et tournent en boucle. Aujourd’hui, on est habituĂ©s Ă  ce format apocalyptique exponentiel mais en 2001 c’était nouveau et d’autant plus effrayant et dĂ©stabilisant. Ce mardi, j’ai zappĂ© mes fractionnĂ©s. Assis immobile devant l’écran Ă  regarder des avions traverser des tours. Encore et encore.

Une semaine hors de tout, anesthésié comme le reste du monde. Et puis les choses se posent, une double colonne de fumée montant à la verticale au milieu des buildings. La vie reprend avec une boule au ventre, une sensation de guerre à venir, mondialisée


Et l’entrainement avec... sans sĂ©rĂ©nitĂ©, tendu... et dans la double incertitude du maintien ou non du Marathon et si oui, est-il raisonnable d’y aller ?

Notre projet c’est entre amis et en famille. Ma femme va courir, notre fille nous accompagne. Je cours, j’y pense, je conduis, j’y pense, je mange, je lis, je me rĂ©veille, j’y pense. J’allume la tĂ©lĂ© pour un peu d’évasion, perdu !! New-York, attentats, terrorisme, danger permanent, niveau d’alerte supra maximal !

Et puis nous sommes en contact avec l’amicale des coureurs de fonds (les amateurs de contrepĂšteries apprĂ©cieront). Au final le verdict tombe. Les New-Yorkais choisissent de rĂ©sister Ă  tout ça, le marathon a lieu. Longues discussions au sein du groupe. Quel choix. On y va, on n’y va pas ? Les tĂ©moignages des habitants sont impressionnants de volontĂ©, d’envie de recevoir le monde Ă  leur cĂŽtĂ©, de nous accueillir avec fiertĂ©. Si cela n’est pas LE sport alors qu’est-ce ? On y va !

Tout se paye. Cette tension des derniĂšres semaines pour moi va se traduire par une contracture soudaine Ă  l’ischio gauche. Un coup de canif en pleine foulĂ©e. Retour boiteux Ă  la maison. On est Ă  moins d’un mois. Je vais rester 10 jours sans courir Ă  recalculer mes sĂ©ances finales pour garder l’objectif des 1000 demandant un chrono Ă  moins de 3h pour assurer ou 3h02 maxi au regard des stats des courses antĂ©rieures
 Il arrive un moment oĂč le mieux est de rĂ©cupĂ©rer plutĂŽt que s’entĂȘter. Je garde mon plan A mais je prĂ©pare un plan B si je ne tiens pas les 14 km/h et les temps de passage avec mon partenaire. Je fixe un point de rendez-vous sur le parcours oĂč mon Ă©pouse me rĂ©cupĂ©rera et je finirai avec elle Ă  10/11 Ă  l’heure
 C’est topĂ©.

Valise, chaussures, slip fĂ©tiche, dossier pour rĂ©cupĂ©rer les dossards, passeports et carte de crĂ©dit. AĂ©roport, avion, airport, hĂŽtel. 

Une ville diffĂ©rente. Une ambiance indĂ©finissable qui nous Ă©crase un peu. Une odeur de brulĂ© parcourt les rues, toutes. On sent le poids de ce qui est arrivĂ©. On le voit dans les yeux des gens. Dans les nĂŽtres aussi. Tous pareils. Les jours qui prĂ©cĂ©dent la course il faut passer aux dossards en file indienne et par des sas de dĂ©tecteurs de mĂ©taux (goodies, tee-shirts
), les gens des tables nous disent merci d’ĂȘtre lĂ . Il faut courir un peu pour remettre son corps en route, le dĂ©froisser du voyage, comme les chemises sorties de la valise. Les coureurs que l’on croise Ă  Central Park nous remercient d’ĂȘtre ici. Il faut se nourrir aussi. Dans chaque restaurant, l’accueil est amical, chaleureux. Tous pareils, tous unis
 La course change de dimension. De quĂȘte de soi, elle s’ouvre vers les autres, fraternelle. On le sent, partout, tout le temps, en magasinant, en prenant l’ascenseur Ă  l’hĂŽtel, en visite au musĂ©e
 Les New-Yorkais nous traitent en amis, en hĂ©ros. 

« Jour-J Â» ou plutĂŽt « D-day Â». L’organisation est sans faille, comme d’habitude ici.

Bien sĂ»r plus de sĂ©curitĂ©, de police, d’armĂ©e, de consignes Ă  respecter, de survol d’hĂ©licoptĂšres. Pour tous, une broche « united we run Â». Oui je sais, ça fait trĂšs « amĂ©ricain Â» mais je vous assure que sur place et ce jour-lĂ  nous Ă©tions fiers et Ă©mus d’y ĂȘtre.

Sur le parcours, non-stop (et vous connaissez la distance) des applaudissements et de la musique, en rafales. Au pont du Bronx, pour moi, le trou du canif s’est rouvert. Mon plan A tombe dans l’eau d’Harlem River. Plan B : Je laisse partir mon compagnon de route, il rentrera dans les 1000 (comme programmĂ©) et je me pose Ă  gauche de la route Ă  l’entrĂ©e du pont. J’attends. Je sais qu’elle aura tenu son tableau de marche. Je guette sa foulĂ©e. Elle arrive, seule. Son compagnon de course a ralenti (nous courrions tous par deux, formant les paires Ă  partir des objectifs de chacun). Elle me voit, je prends sa roue au passage, je m’accroche, dents serrĂ©es, de plus en plus. Je ne me souvenais pas Central Park si grand !

Nous arrivons ensemble en 4h et des poussiĂšres. Je mettrai des semaines Ă  cicatriser de la cuisse mais pour le coup je m’en fous. C’était gĂ©ant ! GĂ©antissime d’émotion ! J’ai dĂ©marrĂ© avec mon partenaire de toujours en marathon et terminĂ© avec la femme de ma vie le plus beau marathon du monde de l’univers !!!

En 98, l’organisation nous avait donnĂ© des gants sur lesquels Ă©tait Ă©crit :

- main gauche « it’s time to stop asking questions Â»

- main droite « and start answering them Â»

Nous sommes en 2021 et je les ai toujours, la preuve :